Dans le livre Musique et symbolisme, résonances cosmiques des instruments et des œuvres de Roger J.V.Cotte, on trouve de nombreuses informations qui permettent d'approfondir notre compréhension des représentations d'instruments comme le cornet. Sans doute recherchés lors de véritable exécutions musicales, ces symbolismes peuvent expliquer l'utilité des cornets gauchers.
Le frontispice du célèbre traité d'alchimie de Heinrich Khunrath, paru à Hanovre en 1609 sous le titre Amphitheatrum sapientiae aeterna nous donne déjà quelques clefs pour comprendre cette symbolique alchimique :

Symboles et formules rosicruciens et alchimiques. Frontispice de l'ouvrage de Heinrich Khunrath, Amphitheatrum sapientiae aeterna, Hanau, 1609 (photo B.N., Paris) :

" Membre de la Rose+Croix, grand initié, l'auteur n'avait pas manqué de surveiller avec le plus grand soin la composition symbolique des gravures illustrant son ouvrage. Des inscriptions latines orientent du reste clairement le lecteur ou, pour mieux dire, le spectateur de ces gravures. (...) Les deux colonnes situées de part et d'autre de la composition font référence à la description du Temple de Salomon (Premier Livre des Rois, VII, 21) : '... (L'architecte Hiram) dressa les colonnes dans le portique du temple, il dressa la colonne de droite et la nomma Jakin, puis il dressa la colonne de gauche et la nomma Boaz...' Ces noms attribués aux colonnes portent une signification déterminée. Il est unanimement admis que Jakin représente la force masculine active et Boaz la beauté féminine. Effectivement, nous lisons au bas de la colonne de gauche (dextre pour la lecture héraldique) la mention Sol (Soleil) et au bas de la colonne de droite (senestre pour la lecture héraldique) la mention Luna (Lune). Nous constatons, de plus, que la colonne 'solaire' (Jakin) est élevée sur un piedestal situé sur la terre, et que la colonne 'lunaire' (Boaz) est sur un piédestal prenant naissance dans les eaux. "
Musique et symbolisme, p.68-70.

Nous retrouvons la même symbolique dans le volet droit du triptyque dit le Jardin des délices, ou parfois le Monde millénaire de Jérome Bosch (1450-1516). La harpe est associée au Christ lui-même confondu avec Apollon, musicien joueur de harpe, donc associée au symbolisme solaire de la colonne Jakin. Le luth, autour du manche duquel s'enroule le serpent emprisonnant Adam, conséquence de l'imprudence d'Eve, est associé au symbolisme lunaire de Boaz. On en trouve encore un autre exemple avec la Vierge à l'orchestre de Boccati, une peinture italienne du 15^ème siècle, où une harpe et un luth (le soleil et la lune) flanquent la Vierge à l'enfant.

La harpe solaire et le luth lunaire.
A droite : détail du volet droit du triptyque de Jérome Bosch, le Jardin des délices (Musée du Prado, Madrid);
A gauche : la Vierge à l'orchestre de Boccati (Musée d'Ajaccio) :

A la place de la harpe, le hautbois, la trompette, ou le cornet muet de couleur claire peuvent être également employé comme représentation solaire, alors que le cornet à bouquin de couleur noire est associé à Boaz. Nous voyons donc comment le cornet, associé à la lune et donc aux ténèbres, associé à la féminité et donc au mal et à la tentation pour la religion catholique, peut être placé à gauche et peut être également courbé à gauche pour renforcer cette symbolique.

" Une autre opposition reproduite avec insistance est celle du cornet à bouquin de couleur claire et droit (cet instrument remplit un rôle équivalent au cornet muet) avec le cornet à bouquin de couleur noire et courbe. Le premier - éventuellement remplacé par un hautbois ou une trompette couleur d'or (en réalité cuivre ou laiton) - est en symbolique l'équivalent de la harpe, à savoir le principe masculin, Feu, Soleil, Or, etc. Le second représente les principes ou éléments lourds : Terre, le signe de la Vierge, et pourrait se rencontrer comme équivalent de la planète Saturne. "
Musique et symbolisme, p.112.

Notons, encore une fois, que Boaz est associée à Saturne. Symbole négatif, opposé au soleil, Saturne marque la fin de la vie en sclérosant toutes ses expressions. Dieu du temps, Saturne est représenté comme un vieillard tenant dans sa main une faux, s'identifiant ainsi à Caron le passeur. Cette image deviendra plus tard celle de la mort, la "faucheuse", personnage féminin remarquez...

" Le cornet courbe noir est, pour les peintres, un symbole infernal rattaché à l'élément Terre ou au signe zodiacal de la Vierge. Le cornet droit blanc ou de couleur claire est au contraire un symbole solaire et correspond à l'élément Feu. "
Musique et symbolisme, p.200.

Entre ses deux éléments, masculin et féminin, les alchimistes plaçaient un troisième élément. Le nombre trois (et ses multiples) était considéré, au 16^ème siècle, comme bien plus parfait que le deux (cf. la sainte trinité), d'où l'importance du ternaire en musique : le temps ternaire est dit "parfait" et la prolation (division du temps) est dite "majeure". La présence de ce troisième élément permet de transformer le système binaire en système ternaire plus satisfaisant à l'époque. Ce troisième élément peut être : un animal comme la grenouille, symbole charnel d'union sexuelle (symbole associé à la cornemuse mais dans un sens un peu péjoratif) ; un chien, symbole de l'union matrimoniale (souvenez vous du petit chien entre les époux Arnolfini du tableau de Peter Van Eyck) ; un enfant, symbole de l'union féconde ; un cœur ou du sel, symbole de l'union mercurielle entre les éléments alchimiques solaires et lunaires ; ou, enfin, une couronne ou un roi "porte couronne", symbolisant le seigneur dieu pour les francs maçons et membres de la Rose+Croix. Le tableau ci dessous, récapitule les points principaux de cette symbolique binaire ou ternaire :

SYMBOLISME BINAIRE OU TERNAIRE
Astrologie :	Soleil	Mercure	Lune
Bible :	Jakin		Boaz
Alchimie :	Le Roi Or	enfant, animal (grenouille, chien), cœur ou porte couronne Sel	La Reine Argent
Éléments :	Feu		Eau
Instruments de musique :	Harpe ou instrument à vent (cornet muet, trompette, hautbois...)	Cornemuse	Luth (cornet courbe)

Au Puy en Velay, Serge Delmas à photographié un ange jouant du cornet à bouquin. Cette photo illustre tout à fait notre propos. Nous remarquons que cet ange tiens un cornet courbé à gauche et il et lui même placé sur la gauche. Le symbole lunaire, néfaste, du cornet est ici renforcé par sa courbure. De l'autre côté, un autre ange musicien tiens une trompette. Nous avons donc une représentation symbolique typique de Jakin et Boaz et par la même une allusion au Temple de Salomon.

Eglise du Puy en Velay
Un ange à gauche (signe de l'air, le mal, cornet gaucher, courbe, noir, lunaire), un trompettiste à droite (solaire, or, le bien) : symétrie des deux musiciens :

La représentation du roi David et de ses musiciens, visible ci-dessous, utilise la même symbolique. Le roi, joue le rôle du principe transcendant, du porte couronne. A sa droite (gauche pour le spectateur), nous pouvons voir la harpe solaire de Jakin. A sa gauche, la sacqueboute s'oppose à lui comme symbole infernal, lunaire, associé à Boaz. Remarquons que c'est une femme qui joue de la sacqueboute, renforçant ainsi la symbolique néfaste.

Le roi David et ses musicien, 16 siècle(?) (Amandiskirche, Urach) extrait de Friend Robert Overton, Der Zink, Geschichte, Bauweise und Spieltechnik eines historischen Musikinstruments :

Deux joueurs de cornet se répondent symétriquement. Confirmant l'opposition entre Boaz et Jakin, les cornets sont joués par un homme près du harpiste, et par une femme près de la sacqueboutiste.
La lyre, associée à l'élément Terre et à la planète Saturne considérée comme néfaste, renforce la symbolique de Boaz. Le basson, lui, est difficile à qualifier. Nous pouvons cependant remarquer qu'il est souvant lié à l'élément Eau, la harpe est naturellement associée au Feu, la sacqueboute et la lyre à la Terre et les cornets peuvent être ici associés à l'Air, ajoutant aux symboliques binaires et ternaires, un symbolisme quaternaire.