4.2.3. Symbolisme dodécanaire
Le cornet à bouquin se retrouve également dans le Concert de Jehan de Nizières, associé à un rôle terrestre, voire infernal, sous le signe du Verseau. L'interprétation de cette image par Roger J.V.Cotte nous montre une fois de plus à quel point les instruments choisis, leur couleur, orientation et position sont chargés de symboles.
Jehan de Nizières, XIVème siècle, Concert de douze instruments et cinq chanteurs (extrait de Barthélémy de Glanville : Livre des propriétés des choses, B.N., Paris, manuscrit français 22532, folio 336) :
" Le Concert, ne peut évidemment avoir aucune valeur documentaire. Cet ensemble hétéroclite d'instruments (comme le sont tous les groupements à intention symbolique) ne pourrait donner qu'une musique 'baroque' (au sens vrai du terme), voire discordante. Elle est extraite d'un manuscrit exécuté en 1373, à la demande du roi Charles V.
Le texte est une traduction du Liber de propriatibus rerum, écrit au XIIIe siècle par Barthélémy l'Anglais. C'est un ouvrage scientifique dont la page ici reproduite ouvre le chapitre mathématique, ou plus simplement arithmétique. Le texte, à travers Boèce, se réfère à la tradition pythagoricienne et lie par conséquent la musique, les nombres et la science des astres, ce que résume éloquemment ce frontispice. Au premier plan, un drapier mesure du drap et un peseur (d'or?) s'active avec sa balance (deux utilisations primaires de la science des nombres). Entre eux, un triangle équilatéral rappelle l'éminente dignité du nombre Trois que nous avons évoquée ci-dessus. Derrière eux, dix listels énoncent (en chiffres romains) les nombres de la première dizaine, base de notre système numéral. Autour de la salle, douze instrumentistes 'accompagnent' cinq chanteurs. Il est évident que leur choix et leur disposition impliquent de solides intentions symboliques. La répartition des instruments n'est pas symétrique : ils sont sept à gauche et cinq à droite. Ces deux nombres possèdent une valeur occulte infiniment supérieure à celle du six, du reste évoqué par la structure du plafond de la salle.
Les sept instrumentistes de gauche font peut-être référence complémentaire aux planètes. On peut y reconnaître la harpe (le soleil), le luth (la lune), l'orgue tenu par un musicien vêtu d'azur (Jupiter). Coiffé de rouge, le hautboïste pourrait évoquer Mars. Également coiffé de rouge mais vêtu entièrement de vert, le trombone (sacqueboute ou trompette grave) rappellerait Vénus. Le joueur de vielle à roue représenterait Saturne et le joueur de tambourin et galoubet, Mercure. Mais, essentiellement, le nombre sept (somme du trois et du quatre, symboles respectifs du Ciel et de la Terre) évoque la totalité de l'Univers en mouvement, le cosmos. Il était normal d'y opposer le nombre cinq, symbole de l'Homme, le microcosme. Des cinq instruments, trois pour le moins (la viole, le cornet noir et le rebec, sorte de petite vièle à archet) sont connus pour évoquer l'élément Terre. Les cymbales, métalliques donc minérales, peuvent être considérées comme relevant du même symbolisme. Seul le tympanon (ou dulcimer) est moins facile à attribuer.
Les cinq chanteurs relèvent d'une tradition que nous avons plusieurs fois rencontrée et évoquent le monde transcendant, opposé au monde contingent représenté par les valeurs arithmétiques, mais aussi par le douze, produit du quatre (éléments) par le trois (principes alchimiques : souffre, mercure, sel). Douze est également le nombre du zodiaque, la plus vaste expression de notre univers visible.
L'attribution des divers instruments aux douze 'maisons' astrologiques respectives n'est pas simple, faute d'une tradition solidement constatée. Le peintre nous fournit toutefois une clef avec le luth et la harpe dont l'attribution habituelle à la Lune et au Soleil ne saurait être contestée. L'astrologue en déduit tout naturellement qu'ils sont situés le premier au signe du Cancer, la seconde au signe du Lion. Cette disposition correspond exactement à leur places dans la composition : quatrième et cinquième. D'où nous déduisons, dans l'ordre zodiacal la répartition suivante :
1ère maison - Bélier : joueur de Tambourin et galoubet, signe de feu, justifié par la coulur du vêtement du musicien (rouge), couleur de Mars.
2ème maison - Taureau : joueur de sacqueboute (trombonne ou trompette grave), signe de terre, justifié par le son grave de l'instrument que beaucoup de compositeurs, plus tardivement, utiliseront comme symbole infernal.
3ème maison - Gémeaux : vielle à roue (ou chifonie), signe d'air. Il semble qu'ici la dualité du signe des Gémeaux soit suggérée par l'organisation de l'instrument qui fait entendre simultanément sa mélodie et un accompagnement rudimentaire, le 'bourdon'. La cornemuse, pour les mêmes raisons, relève parfois du même symbolisme.
4ème maison - Cancer : luth. Signe d'eau, essentiellement lunaire. Son attribution répond à une tradition solidement établie.
5ème maison - Lion : harpe. signe de feu, essentiellement solaire. Cette attribution répond également à une tradition constante.
6ème maison - Vierge : l'orgue portatif. Signe de terre. Ici, le propos du peintre est moins clair et présente une contradiction difficilement réductible avec l'intention clairement perceptible dans le cadre du septénaire.
7ème maison - Balance : le hautbois de couleur noire. Signe d'air. Il semble que le peintre ait interverti les instruments des maisons 6 et 7. Nous verrons plus loin, à l'occasion d'un autre ensemble duodénaire, que les symboles de ces instruments peuvent être échangés avec la plus grande logique.
8ème maison - Scorpion : le dulcimer. Signe d'eau. Il pourrait y avoir une allusion au symbolisme de 'l'homme astrologique', sorte de planche anatomique attribuant à chacune des parties importantes du corps humain l'influence exclusive de l'une des maisons astrologiques. Nous voyons que le hiéroglyphe du scorpion est situé au sexe, point d'appui obligé de la caisse de résonance de l'instrument. C'est un symbole que nous retrouverons.
9ème maison - Sagittaire : La viole (ou vièle à archet). Signe de feu. Ici, le symbole auquel a pu s'attacher le peintre est fort simple : il s'agit de l'archet ancien dont la forme était fort proche de celle de l'arc de chasse ou de guerre, donc de l'attribut du sagittaire.
10ème maison - Capricorne : les cymbales. Symbole du règne minéral et des métaux, à un titre beaucoup plus légitime que les instruments dits 'cuivres', qui sont en réalité des instruments à vent que l'on a pu sans le moindre inconvénient acoustique construire en d'autres matières, notamment en bois. Il était donc normal de les attribuer au signe de Terre, qui se trouve être également le signe de la naissance du Christ, événement accompagné du symbolisme de la grotte évoqué par la Crèche.
11ème maison - Verseau : le cornet noir. Signe d'air, mais domicile de Saturne, ce qui a sans doute justifié le choix par l'artiste de cet instrument plus souvent lié à l'élément Terre. La couleur du Verseau est le noir et son métal est le plomb.
12ème maison - Poissons : le rebec. C'est essentiellement la forme de l'instrument, évoquant celle d'un poisson qui a pu justifier le choix du peintre. "
Musique et symbolisme, p.95-100.
Nous voyons donc que le cornet est parfois symbole de l'air en tant qu'instrument à vent représentant le signe du verseau. Ce signe est domicile de Saturne ce qui permet d'associer, d'autre fois, le cornet à l'élément terre. La terre est aussi l'élément du signe de la vierge que l'on apparente, par extension, à la féminité de Boaz et donc, elle aussi, au cornet à bouquin. Boaz a pour élément l'eau, par opposition au feu de Jakin, le cornet est donc, d'autre fois encore, associé à l'élément liquide. L'eau est également symbole sexuel et donc négatif au vu de la religion.
Ce réseau complexe de symbolismes donne au cornet à bouquin un sens riche et homogène.