Les buts recherchés par ces deux démarches de modélisation sont bien distincts. Dans le domaine de l'acoustique physique traditionnelle, la modélisation intervient au terme d'une longue réflexion théorique et expérimentale, pour valider les hypothèses émises. Le modèle est alors créé pour simuler un processus précis qui, en dehors de son intérêt scientifique, reste limité en termes d'applications musicales directes. Réciproquement, une simulation effectuée en vue d'une application musicale prend en compte des comportements, fréquents dans le domaine instrumental ou pourvus d'un intérêt artistique, qui sont parfois inintéressants d'un point de vue physique. Ainsi, certains modèles élaborés dans ce but peuvent aller à l'encontre de la rigueur scientifique ; il est donc nécessaire d'étudier ce genre de modèle par rapport à des situations théoriques et expérimentales voisines. " Le modèle est alors un outil d'investigation et l'on peut parler d'expérience informatique14 ".
Malgré les oppositions existant entre ces deux démarches, la synthèse par modèles physiques à visée musicale emprunte ou s'inspire souvent des modélisations et simulations numériques développées pour et par des physiciens. La technique de synthèse développée par MacIntyre, Schumacher et Woodhouse est l'exemple représentatif d'une simulation à visées scientifiques qui sera ensuite réutilisée en vue d'une application musicale.
MacIntyre, Schumacher et Woodhouse ont tenté de créer une technique de synthèse efficace et dont les paramètres réglables sont liés à ceux qu'exploitent les musiciens : la synthèse MSW (d'après leurs initiales) ; mais cette technique contrairement à celles que nous décrirons ultérieurement, s'inscrit dans une démarche purement scientifique. Leur modèle du mécanisme de production du son par les instruments, qualifié de " modèle en ondes progressives " par J. M. Adrien, est élégant quoique très simplifié. Son but est de valider les hypothèses scientifiques émises.
Les trois chercheurs se basent sur des expériences récentes ou des travaux antérieurs qui, comme ceux de Benade15, ont mis en évidence l'importance des fréquences résonnantes dans la détermination du son des instruments. Cependant ces fréquences résonnantes ne peuvent expliquer la présence des transitoires d'attaque pourtant fondamentaux dans la reconnaissance du timbre. MacIntyre Schumacher et Woodhouse s'attacheront donc à expliquer ce phénomène ainsi que d'autres comme l'effet de bémolisation et les sous-harmoniques. Ils émettent l'hypothèse que se sont les mouvements des vibrations qui génèrent les sons des bois, des tuyaux d'orgue et des cordes frottées. Ils étudient donc les mécanismes physiques qui sont responsables de la naissance des ondes et de leur évolution, ainsi que le détail du comportement temporel des sons.
MacIntyre Schumacher et Woodhouse divisent la production du son en deux étapes : une excitation non-linéaire, c'est à dire qui, si elle dépasse certaines valeurs, provoque un changement de réaction, comme si un commutateur était actionné, et, une résonance linéaire, c'est à dire qui réagit en proportion de la quantité d'énergie qui lui est appliquée.
Dans une clarinette, l'anche est un système non-linéaire : l'anche légèrement entrouverte au départ laisse passer l'air, mais l'air accumulé dans la perce provoque une pression et la fermeture de l'anche. L'air peut alors s'échapper de la clarinette à une vitesse qui dépend de la longueur du tube, et l'anche s'ouvre de nouveau. L'anche convertit le souffle continu en bouffées d'air dont la fréquence dépend de la longueur de la perce, variant avec l'ouverture et la fermeture des trous. On peut donc dire que la perce l'emporte sur l'anche pour déterminer la hauteur des sons. Cette interaction constitue une sorte de rétroaction entre résonateur et excitateur. Cette même non-linéarité se produit lorsque l'archet " capture " la corde du violon jusqu'à ce qu'elle glisse et soit " relâchée " par l'archet ou lorsqu'un flux d'air va et vient de part et d'autre du biseau d'un tuyau d'orgue.
L'excitation est donc un mécanisme de commutation non-linéaire qui envoie une onde transitoire de type impulsionnel dans la partie linéaire de l'instrument. Celle-ci agit comme un filtre qui arrondit la forme de l'onde afin de produire le timbre. Cette conceptualisation tend vers une interprétation unique du phénomène sonore et entraîne certaines simplifications.
Chaque instrument est représenté par un ensemble compact d'équations. L'excitation, non-linéaire nécessite des équations plus complexes et plus spécifiques. Les principales variables sont la source d'énergie, l'énergie fluctuante de l'élément non-linéaire et la fonction de réflexion décrivant le filtrage effectué par la partie linéaire.
La simulation de MacIntyre Schumacher et Woodhouse permet d'expliquer le détail de la formation du son dans divers instruments. Malheureusement les multiples simplifications apportées à des fins d'efficacité et de généralité ne permettent pas à la synthèse MSW de produire des sons réalistes. De nombreuses améliorations seraient nécessaires pour cela, d'ailleurs on remarquera que le dispositif utilisé ne comporte aucun moyen de génération sonore. Ainsi les applications musicales de cette synthèse restent rares, mais cette démarche purement scientifique reste intéressante car ses résultats seront utilisés, parallèlement à ceux de Karplus et Strong, pour la mise au point de la synthèse par guide d'ondes. D'ailleurs le modèle de Karplus / Strong a été reconnu comme un cas particulier des modèles physiques pour cordes de MacIntyre, Schumacher et Woodhouse.