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2. Approche classique de la synthèse par modèles physiques : Les travaux de Hiller et Ruiz

Les travaux de Hiller et Ruiz (1971) sont représentatifs de l’approche dite " classique " de la modélisation physique, et bien que de nombreux autres chercheurs aient repris cette méthodologie, nous nous fixerons sur ces deux chercheurs afin de comprendre les bases de cette approche.

La méthodologie de Hiller et Ruiz se décompose en cinq étapes : Tout d’abord, il est nécessaire d’indiquer les dimensions et les constantes physiques de l’objet vibrant. Car, comme pour un instrument acoustique, la nature de l’objet, corde, tube, plaque, membrane ou autre, ses dimensions, son élasticité dans le cas d’une corde, définiront la nature du son produit. Il convient, ensuite, d’indiquer les conditions limites auxquelles peut être soumis l’objet : tension à laquelle une corde risque de se rompre, force limite que peut supporter une membrane sans crever… Ses valeurs extrêmes ne pourront pas être dépassées par les variables. Curtis Roads indique que ces " conditions limites permettent également de prendre en compte les cas ou le système ne s’est pas totalement stabilisé après avoir reçu une entrée16 ". Il faut indiquer l’état initial de l’objet comme par exemple la position de départ d’une corde au repos. L’excitation est ensuite décrite, grâce à des algorithmes, comme une force (possédant une direction, une intensité et un point d’application définis) à laquelle l’objet est soumis. Les caractéristiques de l’excitateur : archet, mailloche, marteau, plectre, … sont également indiquées dans les algorithmes. Enfin, le comportement transitoire de l’objet, dont l’irrégularité est due à des facteurs comme le frottement et la manière dont le son est rayonné, constitue une limitation supplémentaire des conditions de vibration indiquées et permet d’insuffler une " vie " à un son qui serait autrement trop plat.

A l’issue de ces cinq étapes de description de l’objet, on obtient un système d’équations complexe qui constitue le modèle physique de l’instrument. Pour obtenir un son, il est alors nécessaire d’indiquer les valeurs de l’excitation (pour une corde frottée : place du doigt sur la corde, place de l’archet, pression exercée par celui-ci, vitesse du mouvement,…). Le système d’équations est ensuite résolu par approximations successives. On obtient, alors, comme solution, une valeur précise pour chaque instant donné. Ces valeurs d’échantillons discrètes représentent la pression acoustique à chaque instant donné.

Cette " approche classique " de la modélisation physique met en jeu un ensemble d’équations différentielles fondées sur le paradigme à masses et ressorts. Ces deux notions de base ont été reprises dans d’autres simulations plus récentes, nous prendrons donc le temps de les décrire plus en détail.

2.1. Equations différentielles

Comme nous l’avons vu précédemment, dans l’approche classique de la modélisation physique, les valeurs discrètes de la pression acoustiques sont obtenues par résolution d’équations complexes qui sont des équations différentielles.

La résolution de nombreux problèmes de mécanique nécessite celle d’une équation faisant intervenir la position d’un point (x), sa vitesse (dx/dt) et son accélération (d2x/dt2). La vitesse et l’accélération sont les dérivées première et seconde de x. C’est là, la définition même d’une équation différentielle : faire intervenir des différences et des dérivées de fonctions. Ces équations permettent de décrire l’évolution d’un objet vibrant dans l’espace et dans le temps. Elles peuvent servir aussi à décrire le fonctionnement d’un filtre numérique. La première application des équations différentielles, par Joseph Bernouilli en 1832, fut la simulation d’une corde vibrante de longueur finie, technique au cœur de la synthèse des modèles physiques. Pour modéliser un phénomène donné, il est d’abord nécessaire de trouver le plus petit nombre de variables permettant de décrire avec exactitude l’état de ce phénomène. Ensuite, il faut établir les équations différentielles les plus simples possibles, traduisant les lois physiques régissant l’évolution de ces variables. Certaines équations différentielles ont des solutions globales, mais la plupart des systèmes d’équations interdépendants, utilisés dans le domaine de la modélisation physique, sont trop complexes et doivent être résolus par approximations successives, ce qui nécessite beaucoup de temps. Pour parvenir à une solution, il convient d’abord de faire une hypothèse, puis de l’améliorer par itération.

2.2. Paradigme à masses et ressorts

Depuis longtemps, les modèles à masses et à ressorts sont utilisés par les physiciens pour décrire des objets vibrants et les ondes qu’ils émettent. Ce paradigme met en avant deux qualités essentielles des objets vibrants : leur densité, masse par quantité unitaire du corps vibrant, ici modélisée par un nombre de masses réparties sur une longueur donnée, et leur élasticité ou raideur, modélisée par des ressorts joignant les masses (voir Figure 2).

Figure 2 : Corde modélisée par un ensemble de masses reliées par des ressorts.

Dans le cas d’une corde, si celle-ci est écartée de son point d’équilibre, une force contraire apparaît et tend à ramener la corde à sa position initiale : la corde se met donc à vibrer. Si la corde est pincée, c’est à dire que l’on déplace une masse, celle-ci exerce une tension sur les masses voisines qui à leur tour se déplacent et ainsi de suite selon un principe appelé propagation des ondes. Ces différentes masses, du fait de leur inertie, ne se déplacent pas toutes instantanément, l’onde se déplace donc le long de la corde avec une vitesse particulière.

Figure 3 : Onde longitudinale, la première masse est déplacée vers la droite, le ressort se comprime et exerce une force sur la deuxième masse qui se déplace à son tour vers la droite, etc.

Avec ce système à masses et ressorts, il est possible de modéliser une onde longitudinale : dans ce cas les masses se déplacent dans le sens de propagation de l’onde (voir Figure 3). Il est également possible de modéliser la propagation d’une onde transversale, dans ce cas le déplacement initial est perpendiculaire au sens de propagation de l’onde (voir Figure 4). C’est le principal mode de vibration des cordes pincées, frottées ou frappées. La vibration de la corde par torsion n’est généralement pas modélisée par la synthèse physique. La division de la corde en unités discrètes (masses) permet de modéliser l’excitation sous la forme d’une force qui s’applique à une seule masse et se propage ensuite aux autres masses. C’est la résolution de l’ensemble des équations différentielles modélisant la corde qui permet de connaître sa forme à un instant donné.

Figure 4 : Onde transversale.

Les surfaces et les volumes peuvent être également modélisés grâce aux masses et aux ressorts. Les surfaces sont représentées sous forme d’un réseau de masses reliées par des ressorts (voir Figure 5). Dans le cas d’une membrane circulaire de tambour, les masses sont disposées en " étoile " (voir Figure 6). Les volumes, eux, sont modélisés sous forme de treillis (voir Figure 7) où chaque masse est reliée par six liaisons.

Figure 5 : Surface modélisée sous forme d’un réseau de masses reliées par des ressorts.17

Figure 6 : Modélisation d’une membrane de tambour.

Figure 7 : Volume modélisé sous forme d’un treillis de masses reliées par des ressorts.

L’inconvénient majeur de la synthèse de Hiller et Ruiz est son coût, dû à la masse de calculs qu’elle nécessite. J.M. Adrien critique les méthodes d'analyse qui précèdent l'élaboration du modèle mathématique.

" Les limites de l’approche de Hiller et Ruiz résultent du fait que les solutions analytiques sont de manière générale, trop arbitraires et insuffisantes à l’oreille ou trop complexes et inutilisables en pratique. Les auteurs négligent donc les possibilités de leur modèle en matière de contrôle, et réduisent ses performances en matière de transitoires.18 "

La synthèse modale est une solution de rechange au paradigme des masses et ressorts, elle a de plus l’avantage d’être plus souple que la première. Nous allons donc maintenant nous intéresser à cette technique.