<< La synthèse par modèles physiques

1. Modèle de signal et modèle physique

Comme nous l'avons précisé précédemment, la synthèse par modèles physiques se distingue par le fait qu'elle s'attache à construire un objet sonore et non un son. Ainsi, les paramètres mis en jeu dans le processus de synthèse sont totalement différents :

" Chaque objet vibrant offre un certain nombre de paramètres que l'on fixe à la valeur de son choix. Chacun d'eux a une incidence sur la nature du son. Contrairement aux modes de synthèse sonore ou l'on met en œuvre directement les paramètres sonores, la variation d'une valeur d'un paramètre physique pourra avoir sur le son des conséquences multiples agissant simultanément sur la hauteur, la durée, et le timbre. Le réglage en est donc assez délicat, d'autant plus qu'il est possible que certaines valeurs soient incompatibles avec d'autres80. "

Ainsi, la synthèse par modèles physiques change les habitudes du musicien habitué à utiliser la synthèse sonore par ordinateur. Celui-ci va devoir apprendre à manipuler des valeurs physiques qui sont à la fois plus distantes du son et plus proches de ses habitudes musicales.

" L'utilisateur, sauf cas particuliers, ne spécifie pas dans sa programmation les hauteurs de chaque mode et les temps d'extinction, mais programme les paramètres et les dimensions physiques d'un objet ainsi que les forces d'excitation qui seront traduites par le calcul, sur le plan sonore. On voit bien ici la grande différence de ce mode de synthèse avec tous ceux issus des modèles de signal. Le travail de l'imaginaire ne s'effectue pas ici sur une pensée sonore mais plutôt sur une virtualisation du geste instrumental81. "

Le son n'est plus envisagé comme un processus allant du simple au complexe, il est issu du modèle et constitue une entité complexe indépendamment de la complexité du modèle qui l'a généré. Les paramètres ne sont plus indépendants les uns des autres et leur spécification ne s'accompagne pas de la description point par point du parcours du son dans le temps, comme c'était le cas dans le cadre de la synthèse par modèle de signal. La synthèse par modèles physiques permet, non pas de spécifier les aspects du son en terme de paramètres physiques mais de mettre en œuvre un processus événementiel imaginaire82, dont on écoutera l'aspect sonore.

" Les éléments qui, dans la synthèse par modèle de signal, sont explicitement spécifiés (fréquence, durée, profil dynamique) deviennent en synthèse par modèles physiques, des conséquences de la spécification de la forme et de la matière des objets et des modes d'interactions entre ceux-ci. Nous sommes en ce sens, réellement placé dans certaines des conditions instrumentales ; celle de l'exploration des capacités sonores d'un dispositif mécanique83. "

Etant donné que le processus semble le même pour toutes les formes de synthèse par modèles physiques, il paraît étrange de constater la présence d'un si grand nombre de techniques différentes. Il faut savoir premièrement que le formalisme de chaque technique n'est pas le même. La technique de Hiller et Ruiz utilise une description du modèle en termes de masses et de ressorts, ce qui est très coûteux en temps de calcul. Le formalisme modal apporte une réponse satisfaisante à ce problème. Cordis-Anima et Mosalys sont les deux exemples les plus aboutis de cette technique modale. Cependant, si Cordis s'inscrit dans un cadre multimédia, c'est à dire avec un retour visuel nommé Anima, et décrit le modèle en terme d'atomes, Mosalys lui est conçu dans un but purement musical et permet d'assembler des éléments plus complexes comme un tuyau, une plaque ou une anche. Ce qui fait la particularité de la méthode des guides d'ondes, c'est la simplicité de ses algorithmes utilisant le principe des tables d'ondes et leur économie en terme de puissance machine. Deuxièmement, ces techniques, avant d'être généralisées à toutes sortes d'instruments, ont toutes été développées dans le but de synthétiser une certaine variété de timbres. Par exemple le formalisme des guides d'ondes provient de l'algorithme de Karplus et Strong conçu pour synthétiser les sons de cordes pincées.

" Après une période de recherche avec les trois techniques : additive, soustractive et modulation de fréquence, on en est venu à penser qu’une synthèse fine aux visées mimétiques ou plus abstraites nécessitait une approche plus réduite ; C’est pourquoi, dans les années 60 et 70, de nouvelles techniques spécifiques sont apparues pour synthétiser un type de son. Cette façon de traiter chaque problème acoustique et psychoacoustique comme un cas particulier se pratique encore actuellement.84 "

Cependant, les concepteurs des techniques ainsi que leurs utilisateurs ne peuvent se résoudre à utiliser une technique différente pour chaque type de son désiré. En effet, seule une technique générale comme Modalys peut permettre de créer des hybrides entre deux éléments aussi différents qu'un gong et une flûte.

" La difficulté fondamentale de la synthèse numérique consiste à trouver le plus petit éventail de techniques couvrant la gamme des sons musicalement désirables de la façon la moins redondante possible85. "

Quand les concepteurs s'attachent à créer des techniques plus générales et malgré cela satisfaisante en ce qui concerne la qualité du son, le problème de l'économie réapparaît :

" La construction d'un modèle physique est en général une entreprise longue et délicate en dépit des outils modulaires et assez généraux qui commencent à apparaître. De même le coût de calcul est plus difficile à maintenir dans certaines limites, alors que c'est un aspect très bien contrôlé dans un modèle de signal86. "

En effet, le coût de calcul est un handicap de la synthèse par modèles physiques. Le compositeur François Nicolas semble ne pas avoir apprécié pleinement Mosaïc à cause de cet inconvénient87. Pour obtenir un coût raisonnable des algorithmes en puissance machine, il faut opérer des simplifications qui permettent néanmoins des résultats étonnant d’authenticité.

" L’algorithme de Karplus-Strong a montré, à la surprise générale, que le modèle physique d’une vraie corde vibrante pouvait être ramené à une moyenne sur deux points sans multiplication tout en donnant des résultats musicalement utiles.88 "

Si la synthèse par modèles physiques est gourmande, elle est cependant, à qualité égale, plus économique que les techniques par modèle de signal.

" Il faut beaucoup de mémoire pour réaliser un espace de timbre multidimensionnel à l’aide de tables, un modèle physique vaut peut-être mille tables d’ondes89. "

Evidemment, cette économie n'est pas le seul critère qui explique l'utilité de cette technique. Nous allons donc discuter maintenant, à travers les opinions de différents compositeurs, de la légitimité de cette synthèse par modèles physiques.