Jean-Claude Risset insiste, nous l'avons dit, sur le fait qu’à première vue, la technique des modèles physiques n’apporte rien, au niveau musical, à la synthèse sonore. " Ne suffit-il pas de simuler le résultat avec l’oreille pour critère ?108 " s’exclame-t-il. Il est évident que l’intérêt musical du son synthétisé est le premier souci des compositeurs et leur inquiétude face aux innovations des techniciens est légitime : ne sont-ils pas sur le point d’oublier le but de leur recherche qui est de créer des sons musicaux ?
En fait, créer des sons " avec l’oreille pour critère " n'est pas une chose aisée. La synthèse qu’elle soit analogique ou numérique est exécutée par une machine à laquelle il faudra fournir des données. Ces données sont des informations chiffrées car la machine ne peut en aucun cas comprendre des ordres subjectifs. Le problème est donc clair : notre oreille aura beau percevoir les défauts d’un son, elle ne nous aidera pas à gouverner la machine pour obtenir d’elle un résultat plus satisfaisant. La manière la plus simple pour obtenir de la machine les sons désirés est de tirer parti de la technologie des instruments classiques ou des sons naturels. C’est là que l’apport de la synthèse par modèles physiques est considérable. Le modèle physique va permettre de simuler les caractéristiques de l’instrument qui sont déterminantes pour la production du son. Les différents critères physiques de l’instrument sont toujours définis par des chiffres (longueur d’une corde, élasticité de celle-ci…), mais ceux-ci correspondent à des valeurs plus concrètes ; le contrôle des paramètres est ainsi plus intuitif. De plus, les critères signifiants du générateur correspondent à ceux des sons. Ce système tire parti du savoir instinctif que le musicien a de l’instrument et lui offre des outils simples pour contrôler et produire des sonorités autant traditionnelles qu'entièrement nouvelles.
Cependant, il est révélateur de constater que les compositeurs qui trouvent ce principe instinctif sont également chercheurs dans ce domaine, je pense par exemple à David Jaffe. Les compositeurs qui utilisent ce principe sans avoir, au préalable, de connaissances importantes dans ce domaine, ne tiennent pas le même discours. Par exemple, Kaija Saariaho met en avant le fait que :
" La référence directe à l’univers physique peut aussi se révéler illusoire : un compositeur n’a pas forcément d’idée sur la manière de décrire physiquement une situation de production instrumentale. Il ignore à coup sûr la densité d’une corde ou le poids d’une caisse de violoncelle109. "
X. Rodet, P. Depalle, G. Fleury et F. Lazarus, ne sont pas tout à fait du même avis :
" Dans le cas du modèle physique, certains paramètres peuvent être un peu difficiles à concevoir pour l'utilisateur, tel le module de Young d'une corde. Cela ne veut pas dire cependant que l'apprentissage par l'utilisateur ne puisse pas être assez rapide. Mais au départ, l'intuition est de peu d'aide. D'autres paramètres en revanche ont une pertinence immédiate dans le cadre du geste instrumental telle la force ou la vitesse d'un marteau110. "
La mesure sur des instruments réels permet de remédier au problème de la spécification des paramètres du modèle. Les données décrivant ce dernier sont suffisamment parlantes pour l'utilisateur, pour lui permettre, ensuite, de jouer avec ces valeurs en vue de modifier le modèle. Un problème intervient néanmoins lorsque l'utilisateur ne commence pas son travail par la modélisation d'un instrument réel qu'il va ensuite déformer, mais par un instrument chimérique. Dans ce cas, les mesures sur des instruments réels ne sont d'aucune aide. De plus, l'observation du jeu d'un instrument réel est sujette à un autre inconvénient :
" L'autre difficulté est la mesure de certains paramètres pendant le jeu instrumental. A titre d'exemple, il ne paraît pas très simple de mesurer la masse, les coefficients de viscosité et de raideur de la lèvre du trompettiste pendant le jeu111. "