<< La synthèse par modèles physiques

2. Entretien avec Guillaume Loizillon

Guillaume Loizillon est compositeur et professeur à l'université de Paris VIII. En 1996, il a écrit une thèse sur la synthèse sonore ou il traite de Modalys. Il a également composé plusieurs œuvres utilisant des sons produits avec Mosaïc et Modalys. Je suis allée l'interroger sur son travail concernant Modalys.

 

En dehors de Modalys sur lequel vous avez travaillé, connaissez-vous d'autres techniques de modélisation physique ?

J'ai travaillé principalement sur Modalys, les autres modes de synthèse physique je ne les connais que théoriquement. Il y a quelques années, j'ai rencontré Claude Cadoz qui m'avait montré Cordis mais je n'ai jamais pratiqué ce logiciel par moi-même. A part Modalys, j'ai manié Csound, un langage généraliste qui a quelques petites applications de modèles physiques. La technique de Karplus/Strong est la seule que je ne connaisse pas trop mal car je l'ai beaucoup utilisée. Quant aux autres, je ne connais que leur principe. Je n'ai pas de point de comparaison en ce qui concerne la pratique, la mise en œuvre. Quant à l'audition, en ce qui concerne les cordes, j'ai été assez impressionné par Claude Cadoz et son programme Cordis.

Pouvez-vous me parler de la mise en œuvre de Modalys en terme critique ? Quels sont ses défauts ?

Modalys est un langage, c'est du Lisp en plus ! Le Lisp n'est pas un langage extrêmement agréable du fait du parenthèsage, de sa syntaxe absolument rigoureuse, mais au bout d'un certain temps ce n'est pas ce qui gêne le plus. Commencer avec une page blanche, ne pas avoir de petits dessins sur lesquels cliquer, ne me dérange pas.

Je sais que la critique générale faite à Modalys c'est sa difficulté de mise en œuvre, ce qui est relativement vrai. Pourtant, cela n'est pas trop gênant à l'usage. Moi, ce que je trouve un peu ennuyeux avec Modalys, c'est que, même en utilisant des machines assez puissantes - et je conçois très bien que cela engendre des calculs très profonds - le temps d'attente est très long. Je ne pense pas que le temps réel absolu, où le geste égale le son, soit indispensable, par contre, il faut qu'entre le moment du calcul et le moment de l'écoute, il y ait un temps suffisamment court, pour que psychologiquement on ait envie de poursuivre, pour qu'il y ait quand même une petite interaction. On lance le calcul, on attend, on imagine ce qui va se passer, cela se produit ou non, et on y retourne. S'il faut attendre une heure, on perd le fil de son travail. Il est vrai qu'entre le moment ou j'ai commencé Modalys et maintenant, les machines ont considérablement évoluées. J'ai commencé Modalys - en 1996, ce n'est pas si vieux que cela - sur des machines qui n'étaient même pas encore des power PC, et j'ai le souvenir d'avoir attendu de 20 à 40 minutes pour un son. Je n'ai pas la dernière machine en date, j'ai ce qu'on appelle un G3 alors que l'on en est au G4, pourtant le calcul est maintenant de l'ordre de la minute.

A partir de là, comment expliquez-vous la faible utilisation de Modalys par les compositeurs ?

Il y a deux ou trois ans, à l'époque de ma thèse, j'ai fait une présentation à l'IRCAM et j'ai eu des conversations assez soutenues avec Francisco Iovino. D'après les échos que j'ai pu avoir, ce qui rebutait manifestement les compositeurs, c'était la page blanche, le Lisp, la programmation, et, il faut l'admettre, une relative complexité sur certaines des fonctions. Par exemple, il y a des contrôleurs - dans le sens " programmes " et non " objets " - que l'on écrit avec Modalys, et qui sont parfois assez délicats, ne serait-ce que conceptuellement et informatiquement, à comprendre. On ne rentre pas dans Modalys de manière intuitive, en une heure ou une demi-journée. Si on prend les exemples fournis, - en général c'est ce qu'on fait - et que l'on commence à modifier les paramètres, à ce moment là, par contre, cela va très vite. Mais, ce qui est intéressant c'est, à un moment donné, de se lancer, de se dire " j'ai compris les exemples ", de prendre une page blanche et de commencer. A ce moment là, on s'aperçoit que l'on pensait avoir bien compris l'influence de chaque modification mais, qu'en fait, on était un peu passé à travers certaines lignes du programme qui ont leur importance. Il faut d'abord l'écrire et on finit par comprendre comment cela marche. Mais ce n'est pas tellement ouvert à l'intuition, c'est vrai.

Deuxièmement, une fois que l'on a fait ce travail, il ne faut pas penser qu'avec Modalys on va faire une pièce musicale. Avec Modalys, on fait du matériau et vu la capacité de mise en œuvre, le temps de calcul, on ne fait jamais une grosse séquence mais un petit bout ou juste un son. Ensuite, il faut trouver une idée d'exploitation ; si on fait de la musique purement électroacoustique, cela peut-être un échantillonneur permettant d'exécuter un montage de sons réalisé dans des logiciels de montage traditionnels (comme Protools, etc.).

Pourtant, j'avais vu, il y a deux ou trois ans, une œuvre entièrement réalisée avec Modalys, un peu conceptualiste, où une notion assez simple de corde avait été systématiquement exploitée. La corde faisait plusieurs dizaines de mètres et les paramètres étaient progressivement distordus. Le compositeur jouait sur la possibilité de créer virtuellement une corde très longue, de lui appliquer des tractions impossibles… C'est cela que j'aime bien dans Modalys : en dépit du côté austère de la page blanche cette synthèse permet vraiment de jouer avec l'imagination.

Malgré l'habitude, on ne sait pas toujours exactement ce que l'on va obtenir. Les modèles peuvent parfois n'émettre aucun son, non pas par erreur de syntaxe mais parce que le modèle qu'on a mis en marche vibre par exemple à 5 hertz et que l'on ne peut l'entendre. Au bout d'un certain temps l'imaginaire fonctionne cependant assez bien, du fait même de cette austérité, mais je crois, quand même, que les compositeurs qui n'ont pas un " background " informatique pur, comme ma génération, n'ont pas accroché.

Ce qui est vrai aussi, c'est que les compositeurs, comme moi, sont susceptibles, à un moment donné, d'accepter de s'intéresser à Modalys, de rentrer dans une chose un peu complexe parce qu'ils y trouvent un intérêt. Mais, cet effort ne peux pas être fourni chaque année. Les logiciels commerciaux, les ProTools et compagnie, sont certes des logiciels très puissants, très complexes, mais ils offrent la possibilité, au bout d'un quart d'heure de faire du son, de travailler : Modalys, non. Personnellement, Csound est apparu, il y a quelques années, j'ai appris ce langage et je l'ai bien aimé. Après, j'ai découvert Modalys. Cependant, j'ai renoncé à SuperCollider parce que l'on ne peut pas toujours apprendre des choses lourdes. Même Modalyser est un système un peu lourd, il n'est pas aussi intuitif que l'on veut bien le dire.

Existe-t-il des interfaces permettant une utilisation plus simple de Modalys ?

Sans être au fait des dernières nouveautés je peux dire que dans Modalys en tant que tel, il n'y a aucune interface, mais une page blanche. J'ai vu une démonstration assez convainquante, que je n'ai pas testée, d'une intégration de Modalys en temps réel dans Max MSP, avec la possibilité d'utiliser une interface, un contrôleur de souffle ou autre... En l'occurrence, il n'avait pas mis un contrôleur de souffle mais un clavier, cependant on aurait pu tout à fait en utiliser un, dans la mesure ou cela passe par un système MIDI.

Le problème que j'avais remarqué à l'époque - mais comme les machines évoluent tellement vite le problème sera bientôt résolu - était la limitation du nombre de modes calculables. Plus on réclame un nombre de modes important, plus l'objet que l'on crée, une corde, une plaque, est précis et plus la richesse du son est appréciable ; mais le temps de calcul augmente en conséquence et va à l'encontre du temps réel.

Il existe une couche supérieure de Modalys qui s'appelle Modalyser. Personnellement, j'ai Modalyser, je l'ai ouvert une fois ou deux, j'ai tenté de faire un son avec, mais comme je connais bien le mode texte je ne m'y suis jamais attaché. De plus, comme il y a une très belle couche graphique, le temps de calcul est encore plus long. Par contre, en dehors de mon cas personnel, je suis persuadé qu'à échéance, l'intégration de Modalys et des autres logiciels, interfacés sur des instruments, du matériel utilisant le souffle, des claviers, etc., est une idée à creuser qui va se développer et qui est, à mon avis, productive.

Ne pensez-vous pas que ces interfaces orientent la pensée du compositeur, voire imposent un mode de pensée ?

Cela est vrai de toutes les interfaces face à tous les langages. Le problème de toutes ces interfaces utilisateur, qui permettent un accès plus d'intuitif, plus rapide, du graphisme, est qu'elles sont forcement une limite par rapport au langage en tant que tel. Si on va au bout de cette idée, ce langage est, lui-même, encore un masque par rapport au langage machine. En même temps, on peut dire que ces interfaces qui vous guident quelque part, peuvent être perverties. Je pense, par exemple, à des choses très simples que sont les séquenceurs MIDI. Ils sont calibrés en 4/4 et 120 pour faire à priori de la chanson, de la musique pop, mais cela n'empêche absolument pas d'en faire autre chose. Je ne connais pas suffisamment Modalyser pour dire s'il oriente la pensée, mais dire qu'une interface impose un mode de pensée est excessif, ou alors l'interface est vraiment très mal faite. Qu'il propose un point de vue c'est certain, mais, sur un plan général, je pense qu'un langage, qu'une interface se pervertit, se subvertit bien aussi.

L'arrivée du temps réel, provoquera-t-elle un nouvel intérêt pour le système ?

A priori, oui, dans la mesure ou effectivement il y a plus de musiciens qui utilisent Max que Modalys. A posteriori, il faut voir… Le problème c'est que Max/MSP, bien que plus utilisé que Modalys, rebute quand même aussi. Ce n'est pas parce que Max permet l'utilisation de petites boites reliées par des fils, que les raisonnements que cela sous-tend ne sont pas compliqués, au contraire il permet la mise en route d'une syntaxe extrêmement complexe. Par contre, pour des compositeurs, des musiciens, déjà très affairés dans les domaines de la musique assistée par ordinateur, de la musique électroacoustique ou autre, cela me paraît une voix éminemment séductrice.

Parfois, à l'écoute des sons produits on se demande si on aurait pu obtenir la même chose avec d'autres techniques, quel est votre avis à ce sujet ?

Je pense qu'il n'y a aucun mode de synthèse, si vaste et si complexe soit-il, qui soit neutre au regard du son produit. On peut toujours se dire, en regardant Modalys, en comprenant ce qu'est Modalys, qu'on pourrait le faire autrement. Quand on y réfléchit bien - le problème est que, pour s'en apercevoir, il faut avoir Modalys, c'est un cercle vicieux - certes Modalys produit des modèles physiques, mais en dernière instance, que crée-t-il ? Il crée un fichier qui contient des partiels, des harmoniques, et il produit finalement le son par synthèse additive. Modalys calcule, à partir de paramètres physiques, des harmoniques ou plutôt des partiels et leurs évolutions dynamiques dans le temps. En fait, Modalys est un langage que l'on peut considérer comme une interface pour la synthèse additive. En effet, on accède au son d'une manière tout à fait différente de celle de Music 5 ou de Csound, où l'on spécifie les partiels un par un pour la synthèse additive. Je me suis amusé à calculer des sons avec Modalys, à les sauver sous forme d'un fichier texte présentant la liste des modes, puis à synthétiser le son lui même avec un autre synthétiseur, comme Csound : le résultat est presque identique.

Mais, ce qui est vrai, c'est que malgré tout, il y a rapidement - c'est son défaut et sa qualité - une " couleur Modalys ". Ce que je trouve différent avec ce logiciel, ce ne sont pas tellement les timbres qu'il permet de générer mais les dynamiques qu'il permet de faire. Ce qui est intéressant dans Modalys ce n'est pas simplement la manipulation de matières, tensions, tractions, etc., ce sont toutes les conceptions réellement énergétiques qu'il y a dans le mode, dans la synthèse par modèles physiques, que l'on ne trouve pas dans la synthèse par modèle de signal. Energétique, c'est à dire que virtuellement on injecte de la force et les sons sont des réactions dues à cette force. Je pense, par exemple, à des objets très simples sur le plan conceptuel que sont les rebonds. Avec le principe des ressorts, on simule deux objets qui se rencontrent, l'un possède une partie qui est molle, provocant son rebond sur l'autre. Il y a alors création d'objets dynamiques et rythmiques qui sont difficilement réalisables avec les synthèses par modèles de signaux. Là est la réelle autonomie de Modalys.

L'intérêt de modalys est-il de permettre et alors un contrôle plus instinctif ?

Certes, mais moi je n'ai pas cherché le réalisme par rapport à des instruments existants. Ce que je trouve intéressant dans Modalys, plus que l'imitation d'un timbre, c'est que cela permet, au niveau d'un son unique, de donner, de manière assez évidente, l'idée de la matière, du métal, du bois… Deuxième chose, cela permet de créer des dynamiques, des événements et non pas des objets. J'ai fait un développement à ce propos153. C'est à dire que le son raconte un événement : cela roule, cela rebondit. Il y a un encrage dans la physique, au niveau de l'imaginaire. Par exemple, j'ai simulé un modèle de cordes qui s'entrechoquent, il y a un phénomène de rebond, qui pourrait faire penser à une règle que l'on met au bord d'une table et à laquelle on donne une impulsion. Il n'y a pas qu'un timbre. A la limite, le timbre pourrait être électronique bien qu'il rappelle une matière. Par contre la dynamique que l'on entend, est directement sortie de Modalys, il n'y a pas d'intervention de montage ou mixage, et je ne pense pas qu'avec un synthétiseur traditionnel, même avec un langage de synthèse si puissant, on puisse arriver à faire cela. C'est la mise en œuvre des jeux de forces, de masses, de ressorts que l'on entend, au-delà du timbre. Ensuite ce que j'aime c'est aller dans des modèles plus utopiques. Avec Jean Claude Risset, on avait discuté du sujet " est-ce que l'on peut créer une physique non terrienne ". Une physique terrienne induit que, si on a lâché un objet, du fait de la gravité, il va forcement tendre vers le repos. On peut imaginer une physique ou les objets rebondissent pendant des heures et des heures, où la pesanteur n'est plus la même.

Risset a dit154  : " A première vue, utiliser l’ordinateur pour mettre en œuvre des modèles physiques peut sembler entrer dans l’avenir à reculons, comme disait Mac Luhan, puisque c’est chercher à reproduire ce qui existe déjà dans le monde acoustique. "

Effectivement n'est-ce pas un retour en arrière, un retour à l'instrument ?

Oui, si vous voulez, c'est un retour aux instruments, mais je ne suis pas exactement d'accord avec cela. La limite du modèle physique, c'est la physique, c'est une tautologie. Dans le modèle de signal, comme on manipule les partiels un par un, effectivement, il n'y a plus de contrainte. Là, une contrainte existe à nouveau, mais en même temps " le retour à l'instrument " ne signifie pas grand chose pour moi car il n'y a pas eu de départ. Si les synthèses par modèle de signal avaient réellement bouleversé à ce point la perception des choses et les notions mêmes de ce qu'est le son musical, qu'elles avaient fait abandonner l'instrument, il y aurait un côté rétrograde et cette remarque aurait un sens. Par ailleurs, que la synthèse par modèles physique ait ses limites qui sont justement celles de la physique, c'est vrai, même Oratio Vagionne l'a dit. Cependant, la mise en œuvre d'un modèle de signal n'est pas non plus exempte de limitations, ne serait-ce que notre capacité à l'imaginer, qui est à mon avis la première.

Les partisans du studio ou du temps réel s'opposent toujours. L'utilisation de Modalys en temps réel pendant un concert, serait-elle, d'après vous, vraiment intéressante ?

S'il fallait, absolument que l'on me mette dans l'un des camps, je préférerais le premier. Je me moque du temps réel, personnellement, pourtant la musique " live " m'intéresse aussi. Je vais finalement, quand même, défendre l'autre parti. Je suis persuadé qu'à plus ou moins brève échéance, des synthétiseurs, des instruments en temps réel fonctionneront et seront utilisés en concert, et ce sera une bonne chose. Par contre, je ne comprendrais pas tout à fait l'utilisation de sons de synthèse par modèles physiques purement imitatifs, dans ce cas autant avoir le véritable instrument. Alors là, je vais revenir à mon dada : si c'est pour nous faire écouter une planète, qui n'est plus la terre et qui, en même temps, nous rappelle le connu, j'irai tout de suite voir, écouter cette musique là. Si c'est par commodité, pour substituer une harpe virtuelle à une vrai parce que c'est moins lourd à transporter, cela ne m'intéresse pas.

Modalys est également un bon moyen de traitement, on peut, par exemple, injecter dans un modèle, un signal audio. Cette excitation du modèle par un signal audio est même le premier processus qui fonctionne bien dans Modalys. Dans mes pièces, j'ai passé de la voix parlée dans une plaque et cela donne des couleurs à partir de timbres réels. Ce que j'ai entendu en temps réel avec MSP fonctionnait comme cela : il y avait des modèles de plaques, de cordes, et ensuite l'accès pouvait être un clavier, un micro en temps réel, etc. Moi, je pense que Modalys est suffisamment intéressant, même si on l'utilise en temps réel, pour ne pas perdre exactement ce que sont l'objet, le mode de résonance, le mode d'excitation, le mode d'écoute, les contrôleurs… Si on perd tout cela, pour en venir à certains synthétiseurs presse bouton, même de très haut niveau, c'est peut être un peu dommage.

A propos, avez-vous eu l'occasion de vous faire une idée des synthétiseurs commerciaux utilisant la synthèse par modèles physiques ?

J'ai essayé le VL1 de Yamaha qui est sorti il y a 4, 5 ans. Comme tous les instruments commerciaux qui sont orientés vers quelque chose - ce n'est pas un défaut en soi - le VL1 est manifestement dirigé vers l'imitation des instruments, assez satisfaisante d'après ce que j'ai entendu, et plutôt vers les styles jazz, rock ou musique de variété. Je n'émets aucun jugement là dessus. Techniquement, c'était une machine petite, chère et monodique. Le problème, c'est que les constructeurs commerciaux utilisent des titres ronflants pour désigner leurs machines et après examen on se rend compte qu'il ne s'agit pas vraiment de modèles physiques. Par exemple, je ne suis pas tout à fait persuadé que le VG8 de Roland utilise réellement des modèles physiques mais pas plutôt un échantillonnage amélioré. Moi, je ne suis pas du tout guitariste, mais je sais que mes amis guitaristes trouvaient cela extraordinaire, peut-être que cela l'était d'ailleurs.

Le VL1 utilise vraiment les modèles physiques, il faut l'admettre. Cependant - c'est un peu l'idée du DX7 - les algorithmes de modèles physiques sont déjà pré-figés. Mais, pourquoi pas ? D'ailleurs, on agit de même avec Modalys, on fait suffisamment de modèles que l'on fige un peu, puis on joue en temps réel. Les synthétiseurs commerciaux ont un impératif de temps réel, de fonctionnement immédiat, il ne peut pas y avoir de page blanche. Les algorithmes sont cependant suffisamment bien faits, bien agencés, pour que l'on accède à une certaine liberté.

Pensez-vous que la synthèse par modèles physiques soit suffisamment révolutionnaire pour provoquer un changement esthétique, un nouveau type d'œuvre ?

Je n'ai pas encore entendu d'œuvres qui puisse permettre d'affirmer cela. Il y a une vingtaine d'années, j'étais étudiant moi-même et j'avais écouté une conférence de Jean Claude Risset. C'était la première fois que je le voyais, et il nous avait fait écouter ces célèbres sons paradoxaux. J'étais ressorti de là en me disant " on vit une époque formidable, cette musique est incroyable, on va avoir des symphonies paradoxales, on va ressortir de la salle de concert avec la tête à l'envers, etc. ", cela n'a pas eu lieu, il y a eu des œuvres, plus ou moins bonnes, mais la musique a continué sa vie… A moins que l'on invente quelque chose de fabuleux dans les années à venir, mais je ne vois pas ce que cela pourrait être, je ne pense pas qu'une technique ou même qu'une combinaison technologie/concept/outils qui fonctionne, puisse révolutionner complètement la musique. Même les modèles physiques, même une musique sans haut-parleurs branchée directement dans le cerveau, même si au bout du compte, il n'y a même plus d'instruments, s'il n'y a plus rien, au-delà de la démonstration, cela ne nous empêchera pas d'écouter les variations Goldberg. Qu'il y ait un jour une œuvre qui doive aux modèles physiques sa spécificité, son intérêt, c'est possible, mais qu'en tant que telle, la synthèse par modèles physiques fasse que l'on ait des perspectives radicalement différentes sur la musique, je ne pense pas.

Vous connaissez les musiques minimalistes d'il y a 15-20 ans, le Sonic Art Union avec Alvin, Lucier et Gornon Mumma ? Ils étaient à mi-chemin entre la culture sonore et la performance et ils ont fait un disque, inaudible, un double album qui s'appelle " music on a long side rope ". Il s'agit une corde, une vrai, qui fait 15 à 20 mètres de long, qui est tendue et mise en vibration par un dispositif électromagnétique. En ce déplaçant dans la pièce on découvre un aspect sculptural du dispositif et des infimes et de minimales variations au niveau sonore. Virtuellement, j'aimerais bien que quelqu'un fasse quelque chose de ce genre. Il y aurait là une particularité des modèles physiques. Je n'avais pas vu cette pièce, mais j'en ai vu une autre, il y a aussi une vingtaine d'années, au centre américain. Un violoncelle, sans instrumentiste, était excité par je ne sais quel système électromagnétique qui s'approchait du violoncelle, puis reculait, etc. en même temps il y avait un système de lumière. Le violoncelle était excité visiblement avec quelque chose, bien sûr, mais avec une chose immatérielle. Si j'avais le temps et si j'étais de cette tendance là, cela m'intéresserait. Ce que j'aimerais, et peut-être que je le ferais, - là le temps réel pourrait m'aider - c'est à la fois d'utiliser le modèle physique mais également de le montrer concrètement. Le modèle, lui-même, peut être séduisant : c'est beau une corde de 45 mètres de long sur laquelle on souffle et qui fait un bruit énorme ! Cet imaginaire, si on arrivait à le rendre réel, le montrer par la musique, là Modalys serait intéressant. Mais je ne sais pas comment le réaliser.

Le modèle peut-il servir lui-même, à mettre l'œuvre en place ?

Moi, je pense que oui. Que cela prenne une forme audiovisuelle, conceptuelle ou autre, cela ne me paraît pas une mauvaise idée en soi. Le modèle physique, en ce qui concerne l'imaginaire, a plus de répondant que le signal. C'est tentant de le mettre en avant, de le valoriser. Peut-être court-on le risque de se fourvoyer… Le danger est de retourner à un simulacre d'instrument, de faire une mise en œuvre un peu lourde pour des résultats sonores qui sont certes valables, mais auxquels on aurait pu accéder par ailleurs. Le fait qu'on y accède par ces moyens là n'est pas neutre cependant, c'est ce qui est amusant, et c'est travailler l'imaginaire.

Parlez-moi des œuvres que vous avez composées et dans lesquelles vous utilisez des sons obtenus grâce à Modalys.

Je pense tout de suite à une commande de la ville de Gentilly, l'Ivresse est un Nombre155, pour flûte, clarinette et dispositif électroacoustique où j'ai utilisé Modalys pour la première fois. Au début de l'œuvre, il y a bien 5-6 minutes ou tout ce qui ce passe derrière la flûte et la clarinette, sur la bande, est vraiment fait avec Modalys. J'avais créé des sons et les avais placés dans un échantillonneur pour les jouer. Ce principe fonctionne bien. Là, en l'occurrence, c'était un moyen de faire du son. Il était produit par Modalys, puis travaillé de manière totalement traditionnelle dans la chaîne électroacoustique. C'est ce que beaucoup de gens font.

Je pense également à un disque de poésie sonore que j'ai fait avec Julien Blaine où, de même, je m'étais créé des claviers de bruits, des gongs, des plaques, des rebonds, des choses dynamiques en rapport avec la voix et la poésie. Je fais ainsi de la musique avec des poètes et à cette occasion, je peux prendre des sons Modalys aussi bien que d'autres. En effet, dans mes collections de sons échantillonnés, j'ai beaucoup de sons faits avec Modalys, mais ils appartiennent de base à ma collection et je ne les remarque pas plus que cela.

Je pourrais vous citer nombre de pièces, quand j'y réfléchis, où j'ai utilisé Modalys comme un générateur, une bibliothèque de sons, et absolument pas comme je dis qu'il faudrait l'utiliser, pas du tout en valorisant le modèle, ni en jouant de l'imaginaire ! Simplement en utilisant mes sons, faits avec Modalys, mais, par contre en les retouchant. J'allais dire " en les cachant " mais ce n'est pas le mot…

Des installations qui, comme je l'ai mentionné, mettraient en scène le modèle, il est vrai que je n'ai pas l'occasion d'en faire, mais je ne dis pas que je n'en ferai pas. A ce niveau là, c'est un problème d'interface. Il faudrait trouver une interface qui soit parlante avec ce type de procédé. Ce que j'ai trouvé beau avec Modalys, c'est cet effet au niveau de l'imaginaire, sur la pesanteur, la légèreté, qu'il faudrait réussir à rendre visible… je ne sais pas encore comment.