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ENTRETIEN AVEC SERGE DELMAS

Symbolique du cornet à bouquin

Aline Hufschmitt


Serge Delmas, professeur de trompette et de cornet à bouquin au conservatoire de Paris, également concertiste, se consacre depuis quelques années à la fabrication des cornets muets et à bouquin. Je suis allée l’interroger sur la facture de ces instruments dans le cadre de la réalisation d'un dossier sur les cornets gauchers


T'est-t-il arrivé de fabriquer un cornet en fonction d'une personne particulière ?

Oui. Dans le cas d'une personne ayant de très petites mains, il m'est arrivé de raccourcir l'intervalle entre les trous de la main droite et les trous de la main gauche, et comme cela ne suffisait pas on a aussi modifié la perce.

Et en ce qui concerne l'intensité de la courbure de l'instrument ?

Il m'est arrivé aussi de la modifier. Mais cela ne change en rien la sonorité du cornet. Cela facilite cependant la tenue de l'instrument.

Et en ce qui concerne le sens de la perce, t'a-t-on déjà spécifiquement demandé... ?

Oui un gaucher, par exemple, m'a demandé que le cornet soit courbe dans l'autre sens justement parce que, si a 460 (La = 460Hz) il est possible de tenir un cornet qui tourne à droite ou à gauche, à 440 c'est beaucoup moins évident. Et si on considère un cornet alto, cela devient impossible d'inverser les mains. Donc il est nécessaire d'avoir un instrument qui tourne à droite ou a gauche.

La taille des trous peut-elle être également modifiée pour s'adapter au musicien ?

La taille des trous peut être modifiée selon la personne mais il faut savoir que plus l'épaisseur des parois du cornet est importante, plus les trous vont être gros. Donc si une personne a des difficultés pour tenir l'instrument alors il faudra que les parois de l'instrument soient fines de façon à avoir les trous les plus petits possibles. Mais il y a quand même une limite à cela, c'est à dire que si les parois on une épaisseur inférieure à un millimètre - c'est possible, même en bois - alors l'instrument émet du souffle sur toutes les notes. Je ne sais pas quelle raison physique peut expliquer cela.

Tu fabriques tes cornets selon un plan fixe ou en fonction des bois ?

La courbure du cornet est réalisée selon un plan fixe. La courbure que j'emploie est tout d'abord un développement géométrique, que l'on retrouve sur certains cornets qui sont dans les musées. Ce n'est pas n'importe quoi. Ensuite c'est une courbure suffisamment universelle pour que n'importe qui puisse réussir à tenir l'instrument correctement. Mais c'est avant tout un développement géométrique, c'est approximativement une portion de spirale.

Mais cela n'a pas d'influence sur le son ?

En effet, cela n'a pas d'influence sur le son, le cornet pourrait être droit ca serait la même chose. Je pense que si le cornet est courbe, c'est avant tout pour des raisons symboliques. Mais également pour des raisons pratiques, pour faciliter sa tenue. Ce que l'on demande de jouer avec un cornet muet droit est beaucoup plus facile techniquement que ce que l'on demande de jouer avec un cornet courbe.

Si tu dis qu'on demande plus de virtuosité au cornet courbe, c'est à cause de sa courbure qui facilite le jeu ?

Non, en fait, ce n'est pas vraiment par rapport à la courbure. C'est par rapport au grain de l'instrument, c'est à dire le trou qu'il y a au fond de l'embouchure. Sur un cornet muet l'embouchure fait partie de l'instrument et ce trou fait quatre millimètres alors que sur un cornet courbe il ne fait que 2 millimètres et demi. La réponse d'un cornet muet est donc beaucoup plus longue et il sera moins virtuose, mais ce n'est pas du à l'absence de courbure.

Penses tu que le choix de la courbure est également un problème d'ordre esthétique, pour que l'instrument soit beau ?

Quand je dis que la courbure est issue d'un développement géométrique... il est sous-entendu que dans la géométrie il y a toujours de l'esthétique...

Est-ce que la courbure de l'instrument suit particulièrement le sens des fibres du bois ? L'orientation de ces fibres peut-elle amener à modifier la courbure ?

Je fais surtout attention à ce que le premier tiers de l'instrument suive le sens des fibres du bois. Pour le reste, on n'aura jamais, ou presque, des fibres qui suivent la courbure. Mais de toute façon, quand je choisis mon bois, si j'arrive à trouver des billes de bois provenant d'un arbre dont le tronc était tordu de façon similaire au corps de l'instrument je les privilégie. Car quand les fibres du bois suivent la courbure de l'instrument, ce dernier sonne particulièrement bien et sa réponse est très rapide, même s'il s'agit d'un bois plus tendre, ordinaire, comme le poirier ou le pommier. Mais il est très rare de trouver un bois courbé naturellement de cette manière.

Et t'arrive-t-il de modifier la courbure de l'instrument pour l'adapter à celle du bois ?

Non, je ne vais pas jusque là.

Est-il possible de donner à l'instrument n'importe quelle courbure si on le souhaite, ou existe t-il des contraintes ?

Si les fibres du bois sont bien droites, l'instrument sera évidement d'autant plus cassant que la courbure est prononcée. Mais tel que l'instrument est construit, en deux demi-coques collées dont les fibres sont contrariées - c'est a dire que les deux moitiés sont creusées symétriquement et non parallèlement - si le bois travaille, les deux moitiés travaillent en sens contraire et les deux forces s'opposent, ce qui renforce la solidité de l'instrument. On peut donc faire ce que l'on veut comme courbure, avec du bois on a le droit de tout faire !

Que penses-tu des propos qui expliquent la courbure du cornet par son héritage des Olifants ?

Je pense que les raisons sont symboliques. Cependant il faut se méfier. Quand on parle du Shoffar, par exemple. Dans toutes les cultures, il y a des réminiscences des périodes passées... si l'on prend les signes du zodiaque, par exemple, on considère qu'il y a eu une "aire" du Taureau, puis du Bélier, période dont on a hérité le Schoffar, c'est à dire bien avant l'époque de Jésus Christ, à l'aire du Poisson. On dit que le cornet tient sa courbure du Schoffar mais je pense qu'il n'ont rien à voir ensemble. Je pense que le Schoffar est une réminiscence des rites de l'aire du Bélier. Pourtant je veux bien croire que le cornet est courbe pour une raison symbolique, associée à la forme des cornes animales.
( Ici les explications de Serge ne sont pas très claires, après lui avoir demandé des éclaircissements, il m'a conseillé de me rapporter à un ouvrage de Blancard intitulé Mystère de la nativité. )

Au moment de réaliser la perce, un nœud ou un défaut du bois peut-il te pousser à percer de l'autre côté de l'instrument ?

Si le nœud est mauvais je ne prends pas le morceau de bois. Si le nœud est sein on peut percer même sur le noeud et normalement il n'y a aucun problème. Si on utilise du bois de Cyprès, on ne trouvera jamais un cornet ou il n'y a pas un seul nœud. Ce n'est pas possible : il y a des nœuds partout dans ce bois. De même pour l'If qui est encore plus embêtant car il est fendu partout. Trouver une planche qui puisse convenir à la fabrication d'un cornet, sans fente, est vraiment difficile. C'est pour cela que je n'en fait pas souvent en If !

T'es tu déjà retrouvé prêt à faire la perce et te rendre compte que l'instrument...

...est fendu ? Oui, et dans ce cas je le jette.

Il ne t'es jamais arrivé de percer de l'autre côté pour éviter un ennui de fabrication et te retrouver avec un instrument gaucher au lieu de droitier ?

Non, non, non ! Le fait que le cornet soit courbé à gauche ou à droite n'est pas du à la matière première. Moi, ca ne m'est jamais arrivé et à l'âge d'or du cornet, il y a avait beaucoup plus de bois que nous avons et il était beaucoup moins cher.

A quel moment se prends la décision de faire un cornet gaucher ou droitier ?

C'est au moment de percer les trous que je décide s'il sera droitier ou gaucher, a part l'orientation des trous il n'y a aucune différence.

T'a-t-on déjà commandé une paire de cornets symétriques ? Penses-tu que cela ait été possible à l'époque ?

Non, on ne m'a jamais demandé cela. A l'époque c'était possible dans les chapelles pour que les instruments placés dans des doubles chœurs puissent voir leur son partir du côté de la foule. Dans un double chœur, les tribunes n'étaient pas tournées vers la foule mais étaient placées face à face. Il fallait donc des gauchers et des droitiers pour chaque tribune.

As tu retrouvé, lors de tes recherches, des registres d'Eglise mentionnant la présence de cornets gauchers dans les instruments appartement à la chapelle ?

La chose est possible mais je n'ai rien retrouvé concernant la facture des instruments. Ce genre de renseignements doit exister, mais il faut les retrouver ! Je crois que c'est à Bologne que l'on à retrouvé les deux sortes d'instruments, gauchers et droitiers. A Vérone, ils tournent tous à gauche mais il s'agit d'une collection privée et il faut aussi prendre en compte le contexte dans lequel on retrouve ces instruments... Mais quand je vois la quantité de cornets gauchers en Italie, je ne pense pas qu'ils aient été destinés à des gauchers car il ne pouvait pas y en avoir autant. On a retrouvé autant de cornets qui tournent à gauche qu'à droite, il n'est pas possible qu'il y ait eu autant de droitier que de gauchers.

Quelle est pour toi la raison la plus plausible qui explique l'existence des cornets gauchers ?

Je pense que si un cornet est droitier ou gaucher c'est pour un emplois bien précis. Je pense qu'ils étaient utilisés pour les doubles chœurs. Je ne vois que cette solution la, car ces cornets droitiers et gauchers d'époque que l'on a retrouvés sont à 465 (La = 465Hz). Et ca ne me dérange pas de jouer un cornet à 465 qui tourne à gauche. Le doigts sont suffisamment rapprochés pour être à l'aise avec ce genre d'instrument. Donc la courbure devait forcement avoir une autre fonction que le confort.