<< Les cornets gauchers

3.1. Contrainte de fabrication

Notre réflexion nous amène à considérer que les facteurs se voyaient peut être contraints, par la qualité des matériaux ou par les lois de la physique, de faire des cornets gauchers ou droitiers, avec une courbure d'une certaine intensité, une perce particulière, etc... Afin de répondre à nos interrogations, Serge Delmas, facteur de cornet et professeur de cornet au conservatoire de Paris s'est prêté à un petit entretien.

3.1.1. Pour l’intensité de la courbure

" Comment sont fabriqués les cornets ? La courbure suit-elle celle des fibres du bois ? Je pense que l’on devrait pouvoir déterminer cela, dans le cas des instruments historiques, au moyen de radiographies. Je crois que tous les cornets du Musée Instrumental de Bruxelles ont été radiographiés, mais je ne me souviens pas d’y avoir examiné le sens des fibres. "
Nicolas Meeus (musiSorbonne@cines.fr)

Dans le cas ou la courbure du cornet serait dépendante de l'orientation des fibres du bois, on peut penser qu'un bois particulier pourrait amener à une modification de l'instrument. Serge Delmas confirme l'importance de ces fibres en expliquant qu'il fait " attention à ce que le premier tiers de l'instrument suive le sens des fibres du bois " et que, quand il choisi son bois, il affirme : " Si j'arrive à trouver des billes de bois provenant d'un arbre dont le tronc était tordu de façon similaire au corps de l'instrument je les privilégie. Car quand les fibres du bois suivent la courbure de l'instrument, ce dernier sonne particulièrement bien et sa réponse est très rapide, même s'il s'agit d'un bois plus tendre, ordinaire, comme le poirier ou le pommier. Mais il est très rare de trouver un bois courbé naturellement de cette manière. "

" Pour le hautbois, la facture des instruments courbes était difficile (le hautbois da caccia coupé en deux, creusé, puis réassemblé avec une gaine de cuir). Il est fort possible que les facteurs orientaient la perce suivant la forme des meilleurs bois (en supposant que ceux-ci ne pouvaient pas toujours être retournés de manière symétrique pour percer les trous), à moins que pour les facteurs, la notion d'orientation ne soit pas si importante, sachant que l'instrumentiste pourrait jouer des deux côtés. "
Thomas Sylvand (musiSorbonne@cines.fr)

Face à cette remarque de Thomas Sylvand, j'ai interrogé Serge Delmas, mais il m'a affirmé que jamais il n'avait adapté la courbure d'un cornet à celle du bois. Je lui ai donc demandé si une quelconque contrainte pourrait l'empêcher de donner n'importe quelle courbure à un cornet.

" Si les fibres du bois sont bien droites, l'instrument sera évidement d'autant plus cassant que la courbure est prononcée. Mais tel que l'instrument est construit, en deux demi-coques collées dont les fibres sont contrariées - c'est a dire que les deux moitiés sont creusées symétriquement et non parallèlement - si le bois travaille, les deux moitiés travaillent en sens contraire et les deux forces s'opposent, ce qui renforce la solidité de l'instrument. On peut donc faire ce que l'on veut comme courbure. Avec du bois on a le droit de tout faire ! "
Serge Delmas (Entretien avec Serge Delmas)

Ainsi Serge Delmas explique que le bois n'influence pas la courbure de l'instrument et que celle ci est réalisée selon un plan fixe.

" La courbure que j'emploies est tout d'abord un développement géométrique, que l'on retrouve sur certains cornets qui sont dans les musées, ce n'est pas importe quoi, ensuite c'est une courbure suffisamment universelle pour que n'importe qui puisse réussir à tenir l'instrument correctement. Mais c'est avant tout un développement géométrique, c'est approximativement une portion de spirale. "
Serge Delmas (Entretien avec Serge Delmas)

Devant une telle affirmation, nous pouvons nous demander s'il ne s'agit pas là de pures spéculations théoriques sans grande influence sur le résultat acoustique de l'instrument... Interrogé sur la possibilité d'une explication "esthétique" de la courbure du cornet, Serge Delmas déclare que la géométrie contient évidement une part d'esthétique et reconnaît que s'il lui est arrivé de modifier la courbure du cornet, cela ne change en rien sa sonorité. Cela facilite cependant la tenue de l'instrument.

" En effet, cela n'a pas d'influence sur le son, le cornet pourrait être droit ca serait la même chose. Je pense que si le cornet est courbe, c'est avant tout pour des raisons symboliques. Mais également pour des raisons pratiques, pour faciliter sa tenue. Ce que l'on demande de jouer avec un cornet muet droit est beaucoup plus facile techniquement que ce que l'on demande de jouer avec un cornet courbe. "
Serge Delmas (Entretien avec Serge Delmas)

Cependant Serge Delmas se reprend immédiatement en précisant que la courbure n'est que secondaire pour faciliter le jeu du cornet à bouquin. Le grain, plus fin sur le cornet courbe que le cornet droit, explique mieux le fait que le cornet à bouquin soit plus virtuose que le cornet muet.

3.1.2. Pour le sens de la perce/orientation

" Au niveau de la fabrication toujours, à quel moment se prend la décision de percer les trous d’un côté ou de l’autre ? Elle détermine le sens de la courbure... "
Nicolas Meeus (musiSorbonne@cines.fr)

D'après Serge Delmas, cette décision se prend au dernier moment. C'est au moment de percer les trous qu'il décide si le cornet sera droitier ou gaucher car, à part l'orientation des trous, il n'y a aucune différence. Dans ce cas, on peut supposer qu'au moment de réaliser la perce, un nœud ou un défaut du bois peut pousser la facteur à percer de l'autre côté de l'instrument. Mais Serge Delmas infirme cette hypothèse :

" Si le nœud est mauvais je ne prends pas le morceau de bois. Si le nœud est sein on peut percer même sur le nœud et normalement il n'y a aucun problème. Si on utilise du bois de Cyprès, on ne trouvera jamais un cornet ou il n'y a pas un seul nœud, ce n'est pas possible, il y a des nœud partout dans ce bois. De même pour l'If qui est encore plus embêtant car il est fendu partout. Trouver une planche qui puisse convenir à la fabrication d'un cornet, sans fente, est vraiment difficile. C'est pour cela que je n'en fait pas souvent en If ! "
Serge Delmas (Entretien avec Serge Delmas)

Quand on lui demande s'il peut percer de l'autre côté du cornet pour éviter un défaut qui lui aurait échappé jusqu'au dernier moment, Serge Delmas affirme avec détermination qu'il jette l'instrument raté et ne rattrape pas un défaut de cette manière, et ajoute avec vigueur :

" Non, non et non ! Le fait que le cornet soit courbé à gauche ou à droite n'est pas du à la matière première. Moi, ca ne m'est jamais arrivé et à l'âge d'or du cornet, il y a avait beaucoup plus de bois que nous avons et il était beaucoup moins cher. "
Serge Delmas (Entretien avec Serge Delmas)