3.2. Construction d’un droitier ou gaucher plus ou moins courbé selon la demande
Après ses quelques réponses de Serge Delmas, nous constatons qu'aucune contrainte de fabrication ne peut expliquer l'existence des cornets gauchers. Le facteur nous a cependant donné deux pistes : le confort de l'instrumentiste, que nous avions déjà supposé mais qui ne nous satisfait qu'à moitié, et une possible raison symbolique que nous explorerons dans le prochain chapitre. Cette contrainte qui ne peut venir du matériau, j'interroge Serge Delmas pour savoir dans quelle mesure elle peut venir du musicien qui lui commande l'instrument :
" Dans le cas d'une personne ayant de très petites mains, il m'est arrivé de raccourcir l'intervalle entre les trous de la mains droite et les trous de la main gauche, et comme cela ne suffisait pas on a aussi modifié la perce. (...) La taille des trous peut être modifiée selon la personne mais il faut savoir que plus l'épaisseur des parois du cornet est importante, plus les trous vont être gros. Donc si une personne a des difficultés pour tenir l'instrument alors il faudra que les parois de l'instrument soient fines de façon à avoir les trous les plus petits possibles. Mais il y a quand même une limite à cela, c'est à dire que si les parois on une épaisseur inférieure à un millimètre - c'est possible, même en bois - alors l'instrument émet du souffle sur toutes les notes. Je ne sais pas quelle raison physique peut expliquer cela. "
Serge Delmas (Entretien avec Serge Delmas)
En ce qui concerne les cornets gauchers, Serge Delmas déclare avoir reçu spécifiquement une commande de ce type :
" Un gaucher, par exemple, m'a demandé que le cornet soit courbe dans l'autre sens justement parce que, si a 460 (La = 460Hz) il est possible de tenir un cornet qui tourne à droite ou à gauche, à 440 c'est beaucoup moins évident. Et si on considère un cornet alto, cela devient impossible d'inverser les mains. Donc il est nécessaire d'avoir un instrument qui tourne à droite ou a gauche. "
Serge Delmas (Entretien avec Serge Delmas)
Cette remarque nous laisse songeurs. Serge Delmas sous-entend qu'au 16ème et 17ème, les cornets, plus courts, pouvaient être tenus aussi bien par des gauchers que des droitiers, et qu'une commande de ce type est spécifique à notre époque car les cornets sont plus long puisque accordés avec un "La" à 440 Herz. Ceci confirme nos soupçons : le confort du musicien et l'existence de gauchers ne suffisent pas à expliquer l'existence de ces cornets inversés. Serge Delmas appuis notre avis en affirmant à plusieurs reprises "Les cornets qui tournent à gauche ne sont pas rares, mais je ne crois pas qu’ils aient été destiné particulièrement aux gauchers". Puis il explique les raisons de son doute : " quand je vois la quantité de cornets gauchers en Italie, je ne pense pas qu'ils aient été destinés à des gauchers car il ne pouvait pas y en avoir autant. On a retrouvé autant de cornets qui tournent à gauche qu'à droite, il n'est pas possible qu'il y ait eu autant de droitier que de gauchers. "
" Pourquoi les cornets à bouquin sont-ils courbés ? On convient aisément que c’est pour faciliter la position des mains, mais qu’en est-il si les instrumentistes contredisent cela en plaçant les mains 'à l’envers' ? "
Nicolas Meeus (musiSorbonne@cines.fr)
Comme le fait remarquer Nicolas Meeus, l'existence de musiciens contredisant la courbure de l'instrument n'est qu'un indice de plus confirmant l'insuffisance de l'explication par le confort.
" A moins que pour les facteurs, la notion d’orientation ne soit pas si importante, sachant que l’instrumentiste pourrait jouer des deux côtés. Ceci montrerait que l’orientation droite ou gauche n’est pas intentionnellement voulue, même si des sélections ont ou se faire à l’usage. "
Thomas Sylvand (musiSorbonne@cines.fr)
Après notre discussion avec Serge Delmas, songer que l’orientation à droite ou à gauche n’est pas intentionnellement voulue parait impossible. Serge Delmas ne laisse rien au hasard dans la fabrication de ses cornets et va même, d'après ses dires, jusqu'à baser ses mesures sur des calculs géométriques complexes mettant en jeu le nombre d'or et les suites de Fibonaci. Nous n'en saurons pas plus, le facteur tient à conserver ses secrets.
Je me décide alors à demander à Serge Delmas la raison qu'il considère la plus plausible pour expliquer l'existence des cornets gauchers :
" Je pense que si un cornet est droitier ou gaucher c'est pour un emplois bien précis. Je pense qu'ils étaient utilisés pour les doubles chœurs. Je ne vois que cette solution là, car ces cornets droitiers et gauchers d'époque que l'on a retrouvés, sont à 465 (La = 465Hz). Et ca ne me dérange pas de jouer un cornet à 465 qui tourne à gauche. Les doigts sont suffisamment rapprochés pour être à l'aise avec ce genre d'instrument. Donc la courbure devait forcement avoir une autre fonction que le confort. "
Serge Delmas (Entretien avec Serge Delmas)
Vivement intéressée par cette hypothèse, je lui demande s'il a déjà reçu une commande de cornets symétriques et si une telle commande lui parait possible à l'époque :
" Non, on ne m'a jamais demander cela. A l'époque c'était possible dans les chapelles pour que les instruments placés dans des doubles chœurs puissent voir leur son partir du côté de la foule. Dans un double chœur, les tribunes n'étaient pas tournées vers la foule mais étaient placées face à face. Il fallait donc des gauchers et des droitiers pour chaque tribune. "
Serge Delmas (Entretien avec Serge Delmas)
Serge Delmas ayant fait de nombreuses recherches sur la facture des cornets, je lui demande s'il a retrouvé des registres d'Eglise mentionnant la présence de cornet gauchers dans les instruments appartement aux chapelles :
" La chose est possible mais je n'ai rien retrouvé concernant la facture des instruments. Ce genre de renseignements doit exister, mais il faut les retrouver ! Je crois que c'est à Bologne que l'on à retrouvé les deux sortes d'instruments, gauchers et droitiers. A Vérone, ils tournent tous à gauche mais il s'agit d'une collection privée et il faut aussi prendre en compte le contexte dans lequel on retrouve ces instruments... "
Serge Delmas (Entretien avec Serge Delmas)
John McCann (dans The historic brass society journal volume 1) explique la courbure du cornet par ses origines :
" The form of the curved cornett reflects its descent from hunting horns and fingerhole horns fashioned from cow and similar-shaped horns. Most cornetts and cornettini are made in this slightly curved shape, which not only evokes their origin but also facilitates playing by better placement of the fingerholes under the lower hand. "
" La forme du cornet reflète son héritage du cor de chasse, du cor avec perce, fabriqué à partir d'une corne de vache, et d'autres cors de formes similaires. La plupart des cornets et cornettini sont fait avec cette forme légèrement courbée qui n'évoque pas seulement leur origine mais facilite également le jeu par un meilleur placement des trous sous le main inférieure. "
Roland à Roncevaux et son cor :
Cette opinion selon laquelle le cornet descendrait de la corne d'appel, et qu'il tiendrait de celui-ci sa courbure, semble tout a fait acceptable mais malheureusement n'explique toujours pas la présence de cornets gauchers...